OCEAN, CARNET (extraits)

C'est une carte marine de la pointe de la Bretagne pliée, agrafée. Un petit livre, écrit au jour le jour. Les personnages naissent sous la plume quotidienne, l'histoire s'invente au grès de leur histoire. Ici des extraits, par ordre chronologique (dernier extrait en fin de page !)
Imaginons que Mimet est un port de pêche, au bord du Pacifique. Quelque part...
Une histoire qui commence par une respiration.











7 octobre : La Marie-Jeanne alla s’empaler sur Daniel profitant qu’il dormait encore à peine pour le réveiller vraiment Bien sur qu’il se laissât faire. 
Chemin sinueux du geste à la parole. A tant se taire impossible de délier l’écheveau de ses désirs et de couper la réalité, la pensée. S’éloigner du bord des cascades. Ne pas baisser les bras.
Daniel l’enferma dans les siens. Tient, il ne dormait plus, du tout. Sur le port les mouettes se disputaient un bout de poisson massacré par d’autres et abandonné à quai. Marie-Jeanne aussi était abandonnée à quai. Faut pas aimer les marins, ou alors il faut aussi aimer l’abandon permanent de ces oiseaux gris. Marie-Jeanne laissa Daniel à son absence et descendit préparer un café.
Un café à boire à l’abri du vent et regarder le jour se lever, seule bien entendu, toujours. Comme tout le monde. Une grande banalité, une permanence.


12 octobre
Sur le phare, la lune ronde. Marie-Anne regarde la terre tourner. La lune n’est plus sur le phare. Paul, à c$ôté d’elle fume sa première clope du matin. Sur l’eau une ligne de clarté, une bande à peine rose sort de la nuit.
- quand nous nous aimions, hier, la lune était sur la colline, derrière nous. La suivre c’est lentement tourner la tête d’un coté à l’autre de notre désir, dire “non” en silence, très lentement.
- Marie-Anne, tu sais que je reviendrai, je ne pars pas vraiment.
- Parfois, Paul, je préfère le temps où je t’attends. Tout ce temps où je t’espère. Parfois c’est plus facile d’être seule, l’âme en espérance.
- Marie-Anne, si tu ne m’attendais plus, un jour, si tu oubliais de m’attendre, je crois bien que j’oublierais de revenir.
Tiens, la lune s’est jetée à l’eau, le soleil l’a fait fuir.”


21 octobre 
Assis dans le fauteuil, Paul écoute, dans la pièce à côté, Marie-Anne. Bruits d’assiettes, de couverts, casserole raclant le fourneau. Placard qui s’ouvre, tiroir qui se ferme, eau qui gicle dans l’évier. Tous les bruits d’une maison habitée. Bruits qui ne bougent ni ne tanguent. Bruits familiers qui ne risquent aucune tempête, bruits sans horizon. Seule dans la pièce, bercé par la musique de la vie à terre, Paul est heureux.
Depuis les premiers jours de son congé il attend sa lettre d’embarquement.

Accroupie derrière lui, Marie-Jeanne soulève le tee-shirt de Daniel, caresse son dos. Elle voudrait alors avoir des mains immenses et fortes pour couvrir ce dos, ces épaules d’un seul geste. Non pas l’emprisonner dans ses bras mais lui dessiner un abri. Daniel, assis sur le rocher regarde l’horizon. Présent à la caresse et absent à Marie-Jeanne. Il se laisse faire. Il a besoin de cette tendresse qu’il accepte et ne sait pas rendre.
Il se retourne, attrape Marie-Jeanne, glisse une main sous son pull, englobe dans sa paume a preuve de sa féminité gourmande, tente de rester avec elle, avec la bribe de ce désir qui monte. Rester en vie. Mais déjà il est au-delà, après, juste après. Il n’est plus à. Peu à peu es caresses légères de Marie-Jeanne l’agacent.

ce soir, de ma fenêtre,
enfin des nuages, toujours pas la mer !
6 octobre. 7h. Fait nuit. L’unique réverbère du port s’est éteint. Il fait noir. Alfred arrive le premier. Le bistrot vient d’ouvrir, le patron est encore fermé.
Ne pas parler, attendre le café, que le café fasse effet. Marie n’est pas là. Elles s’appellent toutes Marie, les filles et ne sont jamais là. Une constance ou une loi de Murphy. Un ketch ou une goélette. Café, café. Alfred descend au bateau. La ligne de jour, derrière le géant couché. Aujourd’hui ciel bleu. Encore, toujours. Depuis quand n’a-t-il pas vu de cieux gris l’Alfred ? Depuis qu’il est ancré à Mimet. Mimet, soleil permanent. C’est désolant. Regarder chaque matin le ciel devient inutile. C’est triste en fait à permanence dans le gris, ou le bleu. C’est la permanence qui est triste."
4 novembreLa tempête a soufflé toute la nuit. Marie-Anne, enfouit dans les bras de Paul, tremble. La tempête pour les femmes de marins c’est toujours de mauvais souvenirs sans image. Mais là, Paul est à la maison. Elle tente d’oublier, malgré le vent et la pluie d’autres nuits, seule.
Paul non plus n’a pas dormi. Content de pouvoir protéger Marie-Anne, lui qui si souvent s’était senti impuissant face aux tempêtes. Il garde les yeux ouverts pour oublier les images de la peur en mer. Toujours la peur. 
6 novembre
Marie-Noëlle faiseuse d’amours comme sa mère fut faiseuse d’anges à cette époque révolue –révolue n’est-ce pas ? – où les hommes engrossaient les femmes et leur refusaient la jouissance. Les Maries ne laisseront pas les hommes faire chemin arrière. Elles se sont battues, et leurs mères avant elles, pour cette attention à la vie qui dit « oui » ou qui dit « non » avant l’amour et parfois après. Car souvent c’est plus tard que la femme comprend à quel point elle veut rester ouverte sans être prise… d’assaut. Les Maries ne laisseront pas revenir le temps des faiseuses d’anges.

15 novembre 
André n’arrive pas à repartir. Le grigri dans l’eau du port est puissant, assez puissant pour ôter l’envie de fuir. André a essayé, mais le grigri, comme un élastique, lui à un bout, le port à l’autre. Toujours un moment où, trop tiré, l’élastique se rétracte et André est revenu au port. Il est resté. Il a trouvé des excuses, une maison, du temps. Il repart de moins en moins souvent, de moins en moins loin, de moins en moins longtemps. Bref il s’installe à cette table d’où il voit un bout de falaise qui se jette dans la mer, et le phare des Grands Ecueils, à l’ouest du port. Une fenêtre qui regarde loin et voit au plus près. Une bonne fenêtre pour poser la table à écrire. André invente des mondes peuplé de lutins bienveillants et sages. S’il reste assez longtemps immobile, peut être finira-t-elle par le trouver et venir, s’approcher et s’arrimer au reste de sa vie. Cesser de bouger pour devenir visible, devenir un amer, un port, une attache qui ne soit pas un lien. Au port les bateaux dansent, piaffent d’impatience. Eux aussi attendent, mais ne le savent pas.

Détail d'une peinture
de Benoit Souverbie

1er janvier
Dernier couché, premier levé. Le patron du bistrot du port balaie les restes de la veille. Un matin comme un autre. Son quotidien.

L’enfant assis sur le banc des vieux fouille de ses yeux curieux la danse cliquetante des bateaux. Il cherche la nouveauté en ce premier jour de l’année. Rien. Tout est identique à hier.
L’année dernière il a appris que le Père Noël n’était qu’une vaste fumisterie de vieux restés en enfance. L’enfant fini son croissant.
Au loin, dépassant la pointe du phare, soupire dans un demi brouillard la corne du vieux cargo « La Confiance »  qui s’éloigne.
L’enfant, voudrait monter à bord, un jour, lorsque « La Confiance » reviendra au port.




Vers la réalisation finale... Printemps 2012

Ecrire à la main, avec un calligrapheur (on dit ça ?) c'est mieux que rien, mais c'est pas encore ça. En même temps j'ai pas envie d'avoir un rendu typo. Autrement à quoi ça sert de se faire suer à écrire à la main ! et je ne cherche pas la calligraphie non plus. Et puis j'aime aussi beaucoup l'idée qu'il faille au lecteur un peu d'attention pour déchiffrer. Comme un cahier retrouvé dans le fond d'une malle, jauni, usé, à l'encre parfois effacée. Bref un truc comme ça. Donc le motif étant dans le motif tout va bien.
Reste à trouve l'imprimeur qui puisse faire du 84 par 120 en recto verso quadri et papier environ 120 à 150 g, papier recyclé. Et bien au boulot !
A part ça c'est plaisir que d'écrire à la main. Je le fais toujours, mais avec un stylo j'ai tellement de mal à me relire ensuite. Mais je commence toujours à la main. C'est plus direct, du cerveau au papier! je suis pour la suppression des intermédiaires inutiles !
J'ai pris grand plaisir à ce travail de copiste. Et chaque fois (parce que j'ai du la faire au moins 2 fois en complet et trois de mieux à demi, cette carte !) d'autres mots, d'autres tournures qui viennent sous la plume, un rajout, une suppression. C'est vraiment une belle musique à interpréter. Je comprends le plaisir que pouvait trouver les copistes du moyen-âge. Ce n'est pas ennuyeux du tout de copier. Au contraire c'est prendre le temps de lire et relire le texte.
bon le texte, je le trouve plutôt bien. J'aime les mystères non éclaircis. J'aime revenir en fin de texte sur les personnages déjà vu, mais sans pour autant donner de solution, plutôt ajouter un questionnement.
Je ne suis pas convaincue par la chute. Elle va peut-être changer d'ici la mise sous presse, rien ne presse ! Voilà à chaud, après une journée entière à copier sur la carte la vie de ces gens-là...


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