vendredi 7 janvier 2011

Indignez-vous

Stephane Hessel
Indignez-vous ! indignez-vous ! il en restera toujours quelque chose.
Je viens de lire Stéphane Hessel





LA MANIFESTATION

Nous avions accepté de nous joindre à cette grande manifestation qui se promettait d’être pacifiste, efficace, démonstrative des forces voulant enfin la paix dans ce pays divisé.
Les organisateurs avaient insistés sur leur volonté d’un cortège apaisé aussi bien dans ses actes que dans ses paroles. Peut-être assisterions nous même à un défilé silencieux, ou du moins sans ces slogans qui répétés et amplifiés ne font que précéder le geste menaçant, l’acte de violence plus physique.
Nous avions accepté car nous souhaitions tous qu’une nouvelle forme de protestation voit le jour dans ce pays, parce que nous sentions naître parmi nos amis niés dans leur liberté ce dépassement de la violence, enfin. Ils perdaient tous les combats depuis des années, et celui qu’ils étaient en train de perdre était celui de la crédibilité face aux instances internationales. Si leurs exigences semblaient à tous légitimes, leurs actes pour parvenir à se faire entendre ne pouvaient plus être tolérés. Ils étaient de plus en plus isolés, devenus peu à peu indéfendables.
Alors, cette manifestation non violente nous voulions l’accompagner, espérer, ne jamais cesser d’espérer.

La foule se massait déjà sur la place centrale quand nous sommes arrivés. Nous avons rapidement décidé de nous séparer, nous mélanger à cette foule afin de mieux sentir sa respiration massive, être attentifs aux moindres éruptions de violence qui pourraient en jaillir, exaspérations ou provocations. En début, milieu, fin et bords du cortège nous nous noyâmes dans cette foule où la présence considérable d’enfants et de femmes nous rassura dans un premier temps sur la véritable volonté de tranquillité annoncée par ceux qui avaient appelé à ce grand rassemblement.
Le cortège s’ébranla doucement, presque en silence. Bientôt quelques slogans jaillir mais ils furent couverts par des protestations plus nombreuses. Quelques agités voulurent brandir des poings, des mots, des banderoles, mais plus nombreux étaient ceux qui voulaient garder à cette manifestation sa couleur paisible. Nous crûmes alors réellement que nous parviendrons au bout de cette manifestation sans heurts.
Cependant peu à peu la foule se transforma en grondement de plus en plus vociférant, comme si elle finissait par ne plus supporter le calme.
Alors nous fîmes ce que nous avions décidé de faire, nous stoppâmes notre marche, là où nous étions, en début, au milieu, en fin et au bord du cortège. La foule maintenant entraînée par les cris et les menaces nous évitait, nous, immobiles et si peu nombreux maintenant à refuser la violence par notre silence et notre immobilité. Bientôt les forces de l’ordre intervinrent avec toute la violence dont elle était capable. Nous ne bougions pas. Nous étions des cibles faciles pour les matraques mais nous ne bougions pas, nous ne parlions pas. La foule déchaînée courrait au devant des matraques dans cette danse convenues des violences qui s’affrontent. Nous restions en arrière maintenant et nous nous assîmes sur le pavé dans l’attente de la répression. Des groupes de policiers, et les manifestants vociférant qu’ils entouraient, nous regardaient, incrédules. Dans les regards nous croisâmes beaucoup d’incompréhension sur notre attitude passive mais aucun mépris. Dans le chaos de la dispersion violente nous fûmes oubliés à notre sort de pierres silencieuses dispersées sur le chemin de la paix. Et quand la rue fut de nouveau déserte nous pûmes nous compter, cette poignée d’hommes et de femmes assis sur toute la longueur du boulevard. Alors dans le silence revenu nous nous levâmes enfin, nous regroupâmes et continuâmes cette marche qui devait aller de la place centrale à la gare. Les rues étaient vides, quelques policiers nous accompagnaient du regard, quelques manifestants revenaient peu à peu sur le boulevard et nous regardaient avec envie. Puis un se joignit à nous, un autre, plusieurs. Voyant qu’il ne se passait rien, que la police n’intervenait pas, d’autres quittèrent le trottoir pour prendre en route la marche maintenant silencieuse. Un jeune homme voulu entamer un chant de guerre et autour de lui on lui demanda gentiment de se taire. Un autre cria un slogan mais un seul, les regards qui l’entouraient suffirent à le faire taire. Aucun chant ne semblait assez anodin, neutre, pour être repris en chœur. Tous avaient été corrompus par ces années de luttes violentes, aucune parole qui ne puisse risquer de traduire un début de brutalité. Alors nous allions, de plus en plus nombreux, dans le silence. Et il n’était pas pesant ce silence car nous discutions entre nous, chacun avec son voisin des toutes petites choses de la vie qui faisaient notre quotidien. Ce n’était pas un cortège sinistre, mais une belle déambulation qui tentait de toutes ses forces de montrer que nous pouvions casser un temps le cercle de la violence. Un temps. Et plus ce temps serait long, et plus ces temps se répéteraient, ici et ailleurs, et plus nous pourrions espérer réduire la violence à une mauvaise habitude, un tic dont il faut se débarrasser. Nous pourrions alors commencer à parler entre nous, nous exprimer posément, à formuler nos espérances et mener à bout nos revendications légitimes. Le chemin pouvait alors sembler très utopique et il fallait vraiment que nous ayons la certitude de tous ces possibles pour ne pas désespérer.
La police voulut nous disperser, car nous étions maintenant nombreux à marcher. L’organisateur de la manifestation montra au responsable des forces de l’ordre présent l’autorisation qui nous avait été signifiée par la préfecture d’aller de la place centrale à la gare. Alors il n’y avait pas de raison raisonnable pour que nous arrêtions cette marche avant, puisque nous ne troublions pas l’ordre public, enfin pas de façon violence et destructrice. Et nous avons été jusqu’à la gare. Et si nous avons mis un peu de temps à nous disperser c’est parce que nous venions de passer un moment important, un temps entre parenthèse dans notre présent si désespérant. Depuis un moment déjà un gamin d’une dizaine d’années me donnait la main. Je ne sais pas d’où il sortait mais à un moment sa main s’était glissée dans la mienne et ne l’avait plus quittée. Nous ne nous étions pas présenté, mais cette présence me confortait dans mon combat. A la gare il me quitta, me laissant un beau sourire en souvenir. Il se retourna, revint sur ses pas et me demanda : « J’aimerais convaincre mes frères comme toi tu m’as convaincu, comment faire ? Je n’ai pas tes mots pour leur dire qu’ils ont tort ."
Et comment trouver les mots à confier à cet enfant, moi qui pendant une heure lui avait tenu la main sans rien lui dire. Je ne savais pas même son nom lorsqu’il disparut dans la foule emportant sa question à laquelle je n’avais pu trouver de réponse articulée.

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